mercredi 10 septembre 2014

Chassé-croisé ! Billet invité # 1 : Charles Demassieux nous parle d'Orange mécanique

Aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, je me fais toute petite, je me cache dans un coin et j'accueille le premier post invité (et la première participation tout court) de mon challenge chassé-croisé ! C'est l'auteur Charles Demassieux, dont je vous avais déjà parlé (clic), qui s'y colle et nous parle d'Orange mécanique ! Merci beaucoup à lui ! (J'ai rajouté les illustrations au texte...)

Orange mécanique

Le cinéaste espagnol Luis Buñuel déclara, à propos de Belle de Jour, qu’il avait essayé de réaliser un bon film à partir d’un mauvais livre. Je ne partage évidemment pas cette affirmation, considérant que le roman de Kessel est excellent, le film de Buñuel étant cependant une adaptation qui l’égale. 


La plupart du temps, il n’en est rien : l’œuvre écrite est meilleure que l’œuvre filmée. Quelquefois même, le réalisateur eût mieux fait d’entretenir son potager plutôt que de nous infliger sa « vision » d’un livre auquel on est en droit de se demander s’il l’a compris. Ce fut, par exemple, une souffrance de subir l’adaptation-massacre du Comte de Monte-Cristo régurgité par madame Dayan !

Mais parfois, force est de reconnaître que le film dépasse le livre. Je choisirai l’exemple de L’Orange mécanique, roman d’anticipation d’Anthony Burgess. Le récit de Burgess est certes une remarquable analyse du jusqu’auboutisme de la violence dans nos sociétés occidentales, en plus d’offrir une vision très réaliste de ce qui se produirait quelques décennies plus tard, rattrapant ainsi la fiction. Sa trouvaille d’un argot spécifique – le Nadsat – est d’ailleurs prophétique, puisque de nos jours les gangs utilisent précisément un métalangage pour communiquer. Mais s’il va très loin dans la représentation de cette violence, l’auteur ne parvient pas – ce n’est que mon avis ! – à égaler le film de Stanley Kubrick.


Là où s’arrête Burgess, en choisissant de redonner une conscience morale à son personnage principal Alex, Kubrick pousse la logique destructrice de ce dernier à son paroxysme : Alex reste un prédateur, et ce n’est que par une contrainte extérieure à lui qu’il en est empêché, pas par sa conscience. Kubrick esthétise son personnage à outrance, le rendant aussi fascinant que terrible jusque sur l’affiche originale du film, sans doute l’une des plus célèbres de l’histoire du cinéma. Pire, il use fréquemment du ressort comique, voire burlesque, pour ce qui relève de la simple horreur. 


Le réalisateur n’apporte pas de jugement moral aussi marqué que le roman, se contentant d’un constat fataliste, incarné par la dernière scène du film, où il démasque le pouvoir politique qui semble dire ceci : « Troublez l’ordre public tant que vous voudrez, Alex, mais ne dérangez pas le pouvoir en place. » Parce que pour Kubrick, il n’y a pas de rédemption possible : ce monde est voué à la violence, individuelle ou d’Etat, et ne peut s’en dépêtrer. Kubrick réussira si bien son coup qu’il devra se justifier sur ses intentions après que des « fans » imiteront son antihéros. Le film écopera, au fil des années, d’une réputation sulfureuse qui en fera un mythe. 

Quant à la forme : le livre de Burgess a du talent là où le film de Kubrick a du génie !

Charles Demassieux

2 commentaires:

  1. Ni lu, ni vu, je peux difficilement me prononcer sur ce sujet ; )

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    Réponses
    1. j'avais vu le film, un peu too much pour moi (je devais être trop jeune, je pense), mais pas lu le livre non plus

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